Mutations BRCA 1/2



Avec la collaboration du Professeur Jean-Pierre LEFRANC

Ancien professeur de chirurgie (Paris VI)

Ancien Chef du Service de Chirurgie et Cancérologie Gynécologique de l’hôpital Pitié - Salpêtrière.

Ancien membre du Board d’0ncogénétique de l’Institut National du Cancer.
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La reconnaissance de formes « familiales » de cancers du sein dès l’antiquité et la confirmation de la suspicion d’une origine génétique de ces cas ou plus récemment de certains cancers des ovaires, par des recherches génétiques (séquençage) ont été établies formellement après la découverte de gènes dont la mutation, le plus souvent transmise héréditairement, prédisposent à l’apparition de ces maladies, toujours à l’âge adulte.

Parmi ces gènes, dont le nombre ne permet pas de tous les citer, et dont l’impact est quantitativement très variable, deux émergent: les gènes BRCA1 (1998) et BRCA2 (2004?), dont le rôle dans l’apparition de cancers du (des) sein (3), et/ou des ovaires, est dorénavant bien étudié et dont les mutations ne sont jamais acquises mais spécifiques car fondatrices d’une population (pour exemples: la population juive ashkénaze de New-York, la population Islandaise très peu touchée par les migrations, et la population du Québec, française dont les mutations de BRCA sont identiques à celles rencontrées en Anjou) et potentiellement transmises des parents à leur descendance au risque de 50% pour chacun des enfants.

Mais, compte-tenu de la possibilité, même plus rare de l’intervention d'autres gènes (TP53, PALBZ notamment), les recherches génétiques incluent actuellement un panel plus large que BRCA ( Breast Carcinoma).

Plusieurs points méritent d’être précisés:

* Ces formes dites « familiales » ne représentent qu’approximativement 10% des cancers du sein et de l’ovaire, les 90% restantes étant dîtes « sporadiques ».Le nombre de familles porteuses de mutations de BRCA1/2 est en France approximativement de 4500.

* Compte tenu des risques de pratiques aléatoires et d’eugénisme, les pouvoirs publics ont en France organisé pour l’exploration et la prise en charge, tout particulièrement pour la chirurgie prophylactique, une filière très règlementée.
Celle-ci comprend:

  • Après consultation auprès de votre gynécologue ou votre médecin traitant,
  • Une consultation avec un onco-généticien qui proposera ou non, en fonction des antécédents personnels et familiaux, une recherche de mutation dans un laboratoire spécialisé en génétique
  • Une proposition thérapeutique ( chirurgie prophylactique ou surveillance spécialisée) prise collégialement avec l’onco-généticien.

* Si les risques de voir apparaitre un cancer du sein (éventuellement bilatéral) et / ou des ovaires ( «pénétrance de la mutation »), actuellement bien évalués, sont très élevés: à l’âge de 70 ans, jusqu’à 80% pour le sein ( 60% bilatéral ) et 40 % pour les ovaires en cas de mutation de BRCA1, 50% pour le sein et 30% pour les ovaires en cas de mutation portant sur BRCA2, ils n’atteignent jamais, même dans le pire des cas, 100%: la survenue de ces cancers n’est donc pas une fatalité.

Cet élément est bien évidemment essentiel à considérer dans la prise en charge de ces patientes et il convient de souligner que les raisons qui expliqueraient que telle patiente présentant telle mutation de BRCA1 ou BRCA2 développerait un voire des cancers du sein ou des ovaires et que telle autre, porteuse de la même anomalie n’en développerait pas, sont toujours inconnues. ll s’agit donc bien seulement de prédisposition.

A l’inverse, le risque de voir se développer un cancer du sein et/ou des ovaires n’étant pas de 100%, même en cas de mutation de BRCA1, certaines familles peuvent être porteuses d’une mutation sans qu’un de ces cancers n’aient touché un de leurs membres sur plusieurs générations: il s’agit, de façon analogue à ce qui s’observe pour les maladies infectieuses, de porteurs (de la mutation) sains.

Signalons à ce propos que la survenue d’un cancer du sein, éventuellement bilatéral, chez un homme très rare dans une population non mutée, est très évocatrice d’une mutation de BRCA. Cette éventualité, même en l’absence d’autre cancer sein/ovaire dans une famille, tout comme la survenue isolée d’un cancer de type papillaire — séreux de haut grade des trompes /ovaires, doit inciter à pratiquer une recherche de mutation de BRC1 /BRCA2, même en l’absence d’antécédents familiaux de cancers du sein et/ou des ovaires.

* Les cancers, mammaires ou ovariens liés à une mutation génique apparaissent en moyenne dix années plus tôt que les formes sporadiques, plus tôt pour BRCA1 que pour BRCA2, de sorte la survenue d’un de ces cancers avant 40 ans évoque d’autant plus une mutation que l’âge est jeune à l’inverse de leur survenue après 70 ans. Cela permet de plus dans une certaine mesure pour les malades mutées BRCA2 de différer les mesures de chirurgie préventive.

* Le profil « biologique » et évolutif des cancers du sein favorisés par ces mutations dépend du gène concerné:

  • Agressif et rapidement évolutif et de pronostic réservé pour BRCA1, mal dépistés à un stade précoce parla mammographie, en général non sensible aux traitements anti - hormonaux;
  • D’évolution plus tranquille et de meilleur pronostic, plus apte à un diagnostic radiologique précoce, plus souvent sensible à un traitement anti-hormonal, pour BRCA2.

*  L’initiation d’une exploration d’oncogénétique reste, quelques soient les précautions utilisées par les différents praticiens concernés et le soutien psychologique, particulièrement anxiogène. Il n’y a de plus aucune urgence et s’il faut bien évidemment, tenir compte du ressenti des patientes lors de la consultation d’annonce, les professionnels de santé doivent apporter, presqu’encore plus que pour l’ensemble de la pratique médicale, une information "claire, loyale et appropriée" (Code de déontologie),tout en respectant les éventuels refus plus ou moins avoués, souvent conséquences de non-dits familiaux qu’une recherche génétique pourrait révéler.

 Si l’on exclut le modèle anglo-américain dans lequel tout individu peut faire pratiquer, de sa propre initiative, par un laboratoire spécialisé une recherche de mutation portant sur tel ou tel gène, voire un séquençage complet de son génome, il revient au médecin onco-généticien de proposer ou non à une personne majeure une recherche de mutation, si possible toujours chez une patiente atteinte d’une des localisations tumorales caractéristiques ( seins, ovaires, d’autres localisations comme le pancréas étant beaucoup plus rares mais à ne pas négliger).

Si la connaissance d’une mutation chez un individu doit, par principe, amener à proposer aux ascendants, descendants et collatéraux, la recherche de cette mutation ( le risque de transmission est par enfant de 50%), dans les autres cas, les antécédents personnels (critère très significatif) et familiaux chez des parents au premier degré ( père et mère, fratrie ), l’âge de survenue d’autant plus significatif que jeune, le caractère uni ou bilatéral d’un cancer du sein, le type histologique papillaire séreux de haut grade pour l’ovaire ( les multiples autres types histologiques sont exclus), constituent les critères décisionnels essentiels de recherche de mutation.

Il convient, en cas de refus, de souligner qu’une telle attitude, souvent liée à des problèmes inavoués de filiation, mais également de croyance religieuse, peut être lourde de conséquence et prive la décision de prise en charge (surveillance spécialisée vs/ chirurgie prophylactique) d’une base scientifique irremplaçable.

Les patients restent bien évidemment décisionnaires de la réalisation ou non d’une recherche génétique et de la prise en charge qui en découlera, les professionnels de santé au premier rang desquels les chirurgiens ayant toute légitimité à éventuellement refuser telle prise en charge, tout particulièrement une chirurgie prophylactique mammaire, en l’absence de mutation reconnue.

Oncogénétique et secret médical.

Un exercice humaniste de la médecine n’est possible qu’au prix d’un respect absolu du secret médical qui concerne les rapports patient - professionnel de santé et est lourdement sanctionné au plan pénal en cas de non-respect. Cette obligation est encore renforcée en ce qui concerne la génétique. Rappelons qu’il n’y a pas de dérogation au respect du secret médical, même après le décès du patient.

La méconnaissance par non-dit au sein d’une famille de l’existence d’une mutation étant susceptible de favoriser l’apparition d’une maladie potentiellement mortelle chez des parents proches, les pouvoirs publics, ont par décret, fait injonction aux médecins de pousser les patients porteurs d’une mutation à en faire état auprès d’eux.

 

Quelles sont ces possibilités de prise en charge ?

Outre les mesures particulièrement psychologiques d’accompagnement, deux orientations doivent être considérées: la chirurgie prophylactique ou la surveillance spécialisée, que ce soit vis à vis des ovaires et du sein, l’information jouant un rôle essentiel dans le choix de la patiente:

  • Pour les ovaires, ou plus précisément du complexe trompe/ovaire, certains arguments plaident en faveur de l’origine tubaire des cancers ovariens de type papillaire séreux de haut grade, l’impossibilité à dépister un cancer à un stade précoce et potentiellement curable, et ce malgré le dosage des "marqueurs tumoraux" et la réalisation d’échographies pelviennes régulières ( bien que des progrès significatifs soient en cours), le caractère globalement très défavorable de ce cancer au stade avancé de « carcinome péritonéale «, impliquent de façon forte et consensuelle, de proposer une chirurgie prophylactique à type d’annexectomie bilatérale (ablation complète des trompes et des ovaires). Ce geste sera réalisé dès que le projet parental aura été réalisé, si possible 5 à 10 ans avant l’âge de survenue de ce type de cancer chez une parente proche.

 

En pratique, cette intervention, par essence mutilante, mais seule à même d’éviter la survenue de ce cancer, devra être réalisée plus tôt en cas de mutation BRCA1 que de BRCA2. Le plus tôt, dans la mesure où cela est acceptable par la patiente, sera le mieux.

Il convient de souligner que ces patientes, par définition ménopausées 5 à 10 ans avant l’âge de la ménopause naturelle, pourront bénéficier d’un traitement hormonal substitutif selon les règles habituelles, dans la mesure du moins où elles n’auront pas présenté un cancer du sein qui le contre-indique. En pratique, l’annexectomie prophylactique, formellement proposée, est bien acceptée, et ce d’autant que la patiente aura assisté à la maladie d’une de ses parentes proches, et assez régulièrement pratiquée.

La surveillance, même spécialisée et particulièrement attentive, reste un pis-aller, choisi et accepté par force lorsque le projet parental, raisonnable, n’a pas été finalisé, compte-tenu de la diffusion très rapide sous forme de carcinome péritonéale des cancers papillaires de haut grade caractéristiques des mutations de BRCA et des résultats très insuffisants voire médiocres du dépistage par échographie pelvienne et surtout dosages des marqueurs tumoraux (ACE, Ca 125...).

Ne pas pratiquer, une fois le projet parental réalisé, de chirurgie prophylactique expose à un risque important de décès.

  • Pour les seins, le problème est plus délicat et les positions sont moins tranchées. La visibilité de la mutilation que constitue l’ablation des seins, et cela malgré la reconstruction mammaire qui n’est pas un geste simple et requiert en général plusieurs interventions chirurgicales, réduit, notamment en France, la réalisation de cette intervention qui n’est pratiquée que dans 10 à 15% des cas où elle serait en théorie, au vu de la génétique, indiquée.

Seule cette chirurgie prophylactique peut éviter la survenue d’un cancer, éventuellement bilatéral, dont le profil « biologique », l’âge de survenue, le pronostic et dans une certaine mesure, le traitement diffèrent selon qu’il est lié à une mutation de BRCA1 ou BRCA2: plus précoce, plus rapidement évolutif et donc susceptible d’échapper au dépistage, plus agressif, plus redevable de chimiothérapie lourde et non de traitements anti-hormonaux, et plus létal pour BRCA1.

La non- réalisation d’une mammectomie prophylactique, laisse cependant la possibilité d’une surveillance et d’un dépistage, plus efficients que ce pour les ovaires. La chirurgie prophylactique restera cependant plus efficace puisqu’elle supprime toute possibilité de survenue d’une maladie potentiellement fatale.

Cette surveillance rigoureuse, régulière et prolongée, repose sur l’examen clinique bi-annuel, la mammographie et l’échographie (les seins des femmes mutées sont généralement particulièrement denses et peu perméables à la mammographie), l’IRM qui restent l’examen le plus fiable, examens radiologiques réalisés annuellement.

Il convient d’insister sur l’importance d’une information claire et exhaustive sur ces deux modalités de prise en charge, information qu’il convient très souvent de répéter, le choc de la démarche ontogénétique, ôtant souvent toute rationalité aux consultants. Sauf découverte lors d’un bilan de surveillance d’un cancer, la décision d’une mammectomie prophylactique n’est jamais urgente et requiert une réflexion la plus sereine possible.

Elle repose sur le type de mutation (BRCA1/2), l’âge de la patiente, ses antécédents personnels et familiaux, son adhésion à la surveillance particulièrement mammaire, dans la mesure où la surveillance ovarienne reste un pis- aller.

En fait, si la réalisation d’une annexectome (ablation des trompes et ovaires) est bien acceptée une fois le projet parental finalisé, la pratique d’une mammectomie prophylactique reste en France (contrairement par exemple aux Pays-Bas) minoritaire et effective que chez les patientes qui en sont elles-mêmes demandeuses.